Photo de Sophie
Canillac.
| Bonjour Raphaël,
Cela fait un moment que je voulais
t'écrire, mais ces derniers temps je suis plutôt à côté de mes
pompes. Tout d'abord, j'ai bien reçu ton courrier du 13 février 2000. Deux jours
après, j'étais transféré de Fresnes.
Là bas, je me plaignais de nos conditions de détention et
il y a de quoi. J'espérais qu'en quittant Fresnes pour une centrale, je
trouverai de meilleurs conditions, je pourrai mettre en place mon projet
d'études, je pourrai travailler à ma "réinsertion"¦ Quelle désillusion !
Quand je suis passé au CNO (Centre national d'orientation) de
Fresnes, j'avais demandé la centrale de Lannemezan (Hautes-Pyrénées)
car, d'après les orienteurs, elle cadrait parfaitement avec mon projet. La
réalité en est tout autre ! Je suis dans ce qu'on appelle une centrale mouroir !
Aujourd'hui, je comprends mieux pourquoi il y avait si peu d'attente. Deux mois
sur le papier. Mais je suis parti quinze jours après mon affectation. En fait, à
Fresnes, ils recrutaient à tout va pour cette prison, car personne ne veut y
venir et, franchement, il y a de quoi. Il n'y a rien à dire sur les conditions
de détention. Pour être franc, à ce sujet-là, c'est bien une des meilleures que
j'ai vues. Mais sorti de là, c'est un véritable mouroir. Nous sommes à peu près
160 détenus divisés en deux divisions. Tout est fait pour que les deux divisions
ne se croisent jamais. Nous sommes sans cesse sous surveillance, non pas de
nombreux surveillants comme à Fresnes, mais par un nombre impressionnant de
caméras que tu retrouves partout et jusqu'au parloir avec ta famille. Ici, il
n'y a pas de petites peines, ça tourne entre 15 ans et perpétuité et ces
derniers sont bien nombreux. Lannemezan est une Centrale Haute Sécurité, ce qui
veut dire que bon nombre de gars qui se trouvent ici ont un dossier chargé et
déjà un long parcours derrière eux.
Pourquoi un mouroir ? Parce qu'ici il n'y a rien pour
occuper les gens. Il n'y a aucune possibilité de suivre des études sérieusement,
contrairement à ce qu'on m'a laissé croire à Fresnes. Il y a très peu de travail
et très mal payé (bien moins bien qu'en Maison d'Arrêt). Et il ne faut pas
oublier que plus de la moitié des détenus longues peines sont peu ou pas du tout
assistés de l'extérieur. La seule chose qu'il y de bien ici, c'est le sport. Il
y a sport tous les jours, mais encore faut-il aimer le sport ! Sorti de là, on
tourne en rond de 8h30 le matin à 18h30 le soir. Quand on arrive de Maison
d'Arrêt, et de Fresnes en particulier, c'est génial de se retrouver dehors 7h30
par jour, mais au bout de quelques semaines, cela devient lassant de tourner en
rond 7h30 par jour ! Je pensais qu'une fois en Centrale, je me referai une
santé, que j'oublierai le stress de la Maison d'Arrêt ¦ Mais il n'en est rien,
bien au contraire. En moi est en train de resurgir toute cette colère que je
croyais enfouie depuis longtemps.
Photo de Sophie
Canillac
|
A tout cela s'ajoute un autre problème. Mon Amie se
trouve incarcérée à la Centrale pour femmes de Rennes. Elle
n'est pas dans mon affaire et je l'ai vraiment rencontrée en prison, bien que
nous soyons du même quartier. Nous attendions tous les deux que je suis en
Centrale pour pouvoir nous joindre autrement que par courrier. En Centrale, nous
avons le droit de téléphoner (ici, une demi heure chaque semaine). Pour nous,
c'était important de pouvoir se parler autrement que par écrit.
Cela fait plus de quatre ans que nous
sommes ensemble. Ici, j'ai le droit de téléphoner à qui je
veux, mais on me refuse ce droit de téléphoner à mon Amie sous prétexte que nous
ne sommes pas mariés ! Je précise qu'il n'existe aucun texte sur le sujet.
Résultat, je suis en train de perdre mon Amie car elle en a
marre d'attendre et d'espérer des choses qui ne viennent pas. Le 1er
mai, j'avais attaqué une grève de la faim par désespoir, mais aussi pour faire
pression sur l'administration. Je l'ai stoppée le 10 mai à la demande de mon
Amie qui dit avoir besoin de réfléchir sur notre Avenir. Tu vas peut-être
trouver cela stupide Raphaël, mais si je perds mon Amie, j'aurai perdu toutes
raisons de croire en un Avenir meilleur. A partir de ce moment-là, je
réattaquerai ma grève de la faim illimitée en espérant que cela servira à
d'autres qui sont dans mon cas. Quelques années en arrière, j'aurais mis le feu
à la Prison (le temps des étés chauds), mais aujourd'hui, je n'ai plus envie de
cette violence. A l'heure où notre chère ministre Guigou nous parle d'améliorer
les conditions de détention, de tout faire pour maintenir et renforcer les liens
familiaux ¦ Dans la réalité, c'est totalement différent. On éloigne les gens de
leurs familles, on fait tout pour briser le peu de liens qui leur restent avec
l'extérieur ¦ Ca, c'est la réalité de la Prison et moi je ne la supporte plus et
le seul moyen qui me reste pour lutter contre cela est ma grève de la faim. Je
sais qu'ils me laisseront crever, mais je m'en fiche totalement. Sans mon Amie,
je n'ai plus rien à espérer !
Pourquoi écrire aujourd'hui alors que
je n'ai le courage de rien ? Parce que ce matin, j'ai reçu un
courrier qui m'a fait penser à toi. La lettre était adressée à Fresnes, mais ils
me l'ont fait suivre. Elle me vient d'une jeune fille qui a pour prénom Edith
(comme mon Amie) et qui est au lycée privé de Tassin (Rhône) en seconde. La
lettre a été écrite le 7 mai. Edith me dit être tombée sur mon courrier sur ton
site Internet. Elle faisait des recherches sur la prison au lycée car son prof
d'éducation civique leur a proposé un débat qui avait pour thèmes : "Faut-il
punir ? Les peines, la vie en prison, la réinsertion."
Photo de Sophie
Canillac
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Elle a fait part de mon courrier à toute sa classe. Elle a
confirmé tout ce que j'avançais grâce à d'autres documents ¦ Sa lettre m'a
touchée car elle me dit que sa classe à décidé d'agir, même si ce n'est qu'à une
petite échelle, en laissant une trace de leurs propos sur les murs de la
bibliothèque de son lycée, afin qu'en y entrant les gens aient une pensée pour
nous qui sommes à l'intérieur. Je trouve cela bien.
J'aimerais, Raphaël, que tu publie ma lettre sur ton site et que si
Edith se reconnaît ou si quelqu'un la reconnaît, elle se fasse
connaître de moi. Cela me ferait plaisir d'entrer en contact avec elle afin
d'échanger des idées, de dialoguer ¦ Par la même, je renouvelle ma demande de
correspondants et de correspondantes car je me sens bien seul derrière mes
quatre murs.
De ton côté, Raphaël, j'espère que tu te portes bien et que
L'Asile reçoit beaucoup de visiteurs. ( ¦) Cela me touche quand
tu me dis que je fais partie de la rédaction, que je suis votre correspondant.
( ¦)
Pour te dire combien nos vies en prisons ne valent pas grand
chose, durant mes 10 jours de grève de la faim, je n'ai reçu
la visite ni du médecin, ni des infirmières et encore moins de la Direction. La
seule personne qui s'est inquiétée de mon état est mon Educatrice. Ici, tu peux
crever, personne n'en a rien à faire. ( ¦)
Voilà, Raphaël, je vais poser le
stylo pour aujoud'hui en espérant que tu publieras ma lettre
dans L'Asile utopique et que j'aurai bientôt de tes nouvelles.
Bien Amicalement
A bientôt
Franck
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